Deux enquêtes seront discutées lors de cette séance, parce qu'elles engagent, de façon exemplaire, une recherche empirique soigneusement documentée (observation sur le terrain, entretiens, analyse de coupures de presse, plongée dans les archives, etc.) et une réflexion argumentée sur les façons dont un cas particulier et concret peut être inscrit dans des contextes aux échelles différentes (du local au transnational), et aux degrés d'abstraction variables (de la scène de rue ordinaire aux transformations générales du capitalisme).
La première, menée par Arjun Appadurai, relate les conditions variées qui ont favorisé l’implantation du cricket en Inde, et la transformation d’une pratique sportive réservée à une élite victorienne en une passion nationale vécue intensément par des millions d’Indiens. Elle souligne la diversité des facteurs qui ont contribué à la circulation d’une forme culturelle (certaines règles de jeu), depuis les grandes écoles anglaises (Harrow, Eton, Oxford ou Cambridge) jusqu'à Bombay, à sa diffusion dans l’ensemble des régions de l’Inde et à sa réappropriation récente, sous une forme renouvelée, par une certaine frange de la société britannique jusque-là indifférente à ce sport ou tenue à l'écart des terrains de cricket.
La seconde est le fait de Jean Comaroff et de John Comaroff. Les auteurs nous rappellent dans cet article que les dichotomies local–global et présent (ethnographique) – durée (historique) recèlent une aporie redoutable. Ils soulignent en outre, à partir d’un phénomène qui pourrait sembler insignifiant ou irréel, ce qu’une «histoire contemporaine du capital» (p. 171) gagne lorsqu’elle se risque à éprouver ses préjugés savants sur des études richement documentées. L’imbrication des échelles d’analyse, tant spatiales que temporelles, et donc l'«inconfort» des savoirs post-coloniaux qui donne son titre à l'article, apparaissent alors respectivement comme l’un des mots d’ordre et la condition épistémologique d’une description rigoureuse de la mondialisation.
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